Point mensuel – Octobre 2023

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La dette mondiale retrouve sa tendance à la hausse 

Par Alexandre Hezez, Stratégiste Groupe

Point Macro

Tweet de l’Institut de la Finance Internationale

Source : X (ex twitter)

Bien qu’une réduction notable de la dette mondiale ait été observée en 2022, les enjeux liés à sa soutenabilité demeurent. Selon les dernières données du FMI, la dette mondiale est toujours au-dessus de son niveau pré-pandémique. Elle constituait 238 % du PIB mondial en 2022, soit une augmentation de 9 points de pourcentage par rapport à 2019. La dette s’élevait à 235 000 milliards de dollars, soit 200 milliards de dollars de plus qu’en 2021. La charge de la dette mondiale a reculé en 2021 et 2022 grâce à la faiblesse des taux d’intérêt liée à l’action des banques centrales. Malgré cette nouvelle baisse, la dette mondiale reste élevée et sa viabilité préoccupante.

Source : FMI

En 2020, l’endettement a connu son plus fort bond annuel depuis la Seconde Guerre mondiale, culminant à 226 000 milliards de dollars au cœur d’une récession et d’une pandémie. Les niveaux pré-crise étaient déjà inquiétants, mais les pays ont fait face à des niveaux de dette publique et privée sans précédent, des mutations virales et une inflation galopante.

Malgré le rebond de la croissance à partir de 2020 et une inflation largement supérieure aux prévisions, la dette publique est restée obstinément élevée. Les déficits budgétaires en sont notamment responsables, car de nombreux pays ont dépensé plus pour stimuler la croissance et répondre à la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, alors même qu’ils mettaient fin au soutien budgétaire lié à la pandémie.

C’est pourquoi la dette publique n’a diminué que de 8 points de pourcentage du PIB au cours des deux dernières années, ce qui n’a compensé que la moitié environ de l’augmentation liée à la pandémie.

Dette des ménages US en % du PIB

Source : Bloomberg

La dette privée, qui comprend la dette des ménages et des sociétés non financières, a diminué plus rapidement, de 12 points de pourcentage du PIB. Mais cette baisse n’a pas suffi à neutraliser l’augmentation due à la pandémie.

Près de 40 % de la dette globale actuelle est publique, un niveau inédit depuis les années 1960. Ce phénomène est majoritairement attribué aux deux crises économiques récentes : la crise financière globale et la pandémie de COVID-19. Les mesures budgétaires massives en réaction à ces crises ont sérieusement aggravé les déficits.

La dynamique d’endettement varie considérablement entre les pays. Les économies développées et la Chine représentent plus de 90 % des 28 000 milliards de dollars d’endettement supplémentaire. À l’opposé, les pays en développement font face à des conditions de financement restreintes et des taux d’emprunt élevés.

Tweet de l’Institut de la Finance Internationale

Source :  X (ex twitter), https://www.iif.com/

Un phénomène de long terme

Avant la pandémie, les ratios dette mondiale/PIB avaient suivi une trajectoire ascendante pendant des décennies. La dette publique mondiale a triplé depuis le milieu des années 1970 pour atteindre 92 % du PIB (soit un peu plus de 91 000 milliards de dollars) à la fin de 2022. La dette privée a elle aussi triplé pour atteindre 146 % du PIB (soit près de 144 000 milliards de dollars), mais sur une période plus longue, entre 1960 et 2022. Cette augmentation de la dette mondiale est en grande partie imputable à la Chine, car le volume des emprunts a surpassé la croissance économique.

Le niveau d’endettement de la Chine, en part du PIB, a quasiment rejoint celui des États-Unis, alors qu’en dollars, sa dette totale est encore nettement inférieure (47 500 milliards de dollars contre près de 70 000 milliards de dollars). En ce qui concerne la dette des sociétés non financières, la part de la Chine (28 %) est la plus importante au monde. La dette des pays en développement à faible revenu a également considérablement augmenté ces vingt dernières années, bien qu’en partant d’un niveau plus bas initialement. Même si la dette de ces pays, en particulier la dette privée, reste en moyenne relativement faible comparée à celle des pays avancés et émergents, son augmentation rapide depuis la crise financière mondiale engendre des difficultés et des facteurs de vulnérabilité.

Plus de la moitié des pays en développement à faible revenu sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement, et environ un cinquième des pays émergents ont émis des obligations souveraines qui s’échangent à des prix fortement décotés.

Dernier rapport du FMI

Source : FMI (cliquez ici)

Un casse-tête pour les États

Les autorités devront s’engager fermement pour maintenir la dette à un niveau gérable pour préserver sa viabilité. 

Les pouvoirs publics doivent prendre des mesures de toute urgence pour réduire les facteurs de vulnérabilité de la dette et inverser ses tendances à long terme. 

En ce qui concerne la dette publique, l’instauration d’un cadre budgétaire crédible pourrait guider le processus visant à mieux concilier les besoins de dépenses et sa viabilité.

Pour les pays en développement à faible revenu, il s’agit, avant tout, de renforcer leur capacité à recouvrer davantage de recettes fiscales. Pour ceux dont la dette est insoutenable, il convient aussi d’adopter une stratégie plus globale, associant discipline budgétaire et restructuration de la dette au titre du cadre commun du Groupe des Vingt (le mécanisme multilatéral d’annulation et de restructuration de la dette souveraine), le cas échéant, comme souligné dans les Perspectives de l’économie mondiale du FMI.

Certains spécialistes affirment qu’en réduisant la charge de la dette, un espace budgétaire se dégage qui permet de réaliser de nouveaux investissements, permettant de stimuler ainsi la croissance économique dans les années à venir, notamment sur la transition énergétique.  Le FMI insiste dans un « working paper » sur la possibilité de réduire les dettes grâce à une taxation accrue du carbone.

Source : FMI

Cependant les récents évènements démontrent qu’en temps de tension sociale et politique dans de nombreux pays développés , il est délicat d’agir à l’encontre du pouvoir d’achat. En Europe, les velléités des populations sont fortes à ce sujet. Ceci fragilise les gouvernements quant aux actions qu’ils pourraient mener en ce sens .

Source : X

Les Etats-Unis ne sont pas exsangues de ce phénomène à l’approche des élections présidentielles et un affrontement prévisible entre Trump et Biden est probable. La première économie du monde fait de nouveau face à la menace d’une paralysie de son administration à cause d’un blocage politique, quatre mois après avoir frôlé le défaut de paiement.

Dette totale et plafond autorisé

La dette nationale américaine a dépassé le chiffre stupéfiant de 33 000 milliards de dollars. La trajectoire de cette dette toujours croissante est préoccupante en matière de viabilité économique à long terme.

La dynamique de la dette est cependant loin d’être la même dans tous les pays. Les pays avancés et la Chine sont responsables de plus de 90 % de dette supplémentaire. En revanche, la plupart des pays en développement se trouve dans une situation financière inverse : leur accès aux financements est limité et ils sont souvent contraints d’emprunter déjà à des taux supérieurs. 

Environ 80 % de la nouvelle dette a été générée par les marchés développés, avec les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la France très contributrice. Dans le même temps, la dette des marchés émergents a été tirée par la Chine, l’Inde et le Brésil.

Risque lié aux taux d’intérêt

La charge de la dette mondiale a reculé en 2021 et 2022. Le rapport de l’Institut de la finance internationale met en garde contre le fait que l’augmentation des taux d’intérêt pourrait rendre le remboursement de la dette plus difficile, en particulier pour les pays et les ménages très endettés. Il est donc crucial que les gouvernements et les banques centrales gèrent de manière prudente cette dette.  Il est notable que les niveaux d’endettement des ménages ont atteint leur plus bas niveau en deux décennies, ce qui crée une certaine marge de manœuvre face à la hausse des taux d’intérêt. Il est à noter que la hausse soudaine de l’inflation il y a deux ans a permis aux gouvernements de rembourser plus facilement leurs dettes existantes. Cependant, aujourd’hui, ce sont les gouvernements et les institutions financières qui contribuent à la hausse du ratio dette/PIB.

Aux États-Unis, cela est attribuable au fait que le déficit fédéral a augmenté. Cette augmentation des dépenses excessives suscite des inquiétudes, certains craignant qu’elle puisse entraîner des taux d’intérêt encore plus élevés.

Même si cela prendra du temps, les niveaux de taux payés par les agents économiques seront plus élevés. Dans notre scénario, l’inflation restera une crainte constante des banques centrales pour les prochaines années.

En termes de charge d’intérêt, la hausse des taux ne se répercutera que progressivement sur la dette car les États ont augmenté leur endettement et la durée de leurs obligations pendant une période de taux très bas. Les niveaux de coupon payés restent faibles. Cependant, ils augmenteront progressivement compte tenu des taux actuels.

Niveau de coupon des dettes d’état versus niveau de taux 5 ans.

Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu

De plus, les durations de dettes globales restent relativement importantes laissant du temps à des actions sur les déficits budgétaires.

Duration moyenne des dettes d’états. 

Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu

Jusqu’où peuvent monter les taux d’intérêt ?

Comme nous l’expliquons depuis de nombreux mois, les années 2010 ont été marquées par une peur continue d’un risque de déflation et ont permis l’action constante des banques centrales pour relancer la machine monétaire lorsque cela était nécessaire (crise financière de 2008, crise souveraine en 2011, crise du pétrole en 2015, guerre commerciale en 2018, pandémie en 2020).

Taux 5 ans

Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu

Cette fois-ci, les banques centrales auront une attitude en miroir du cycle précédent. Nous pensons qu’elles garderont une pression constante sur les États et sur la distribution de crédit pour éviter autant que faire se peut une autre vague inflationniste. La lutte contre l’inflation sera primordiale face à la volonté de croissance. 
Jerome Powell fonde son analyse sur le dernier épisode de stagflation des années 1970. Selon lui, l’erreur de la Fed dans les années 1970 a été de craindre de plonger l’économie dans une récession marquée puis de rapidement baisser les taux d’intérêt. Jerome Powell préfère être considéré comme un second Paul Volcker plutôt qu’un second Arthur Burns (président de la Fed de 1970 à 1978). Ce n’est qu’en 1975, bien trop tard, que Burns a admis que les États-Unis avaient un problème d’inflation. La leçon de tout cet épisode est douloureuse : il est très dangereux d’ignorer les facteurs transitoires. À l’époque, lorsque Carter a nommé Volcker à la tête de la Fed en juillet 1979, celui-ci a décidé d’inverser la politique monétaire américaine. La question est donc de savoir si Jerome Powell a une capacité sans limite pour normaliser la situation.

Les États-Unis ont connu une forte inflation dans les années 1970 et jusqu’au début des années 1980. Lorsque l’on observe l’épisode des années 1970, les taux d’intérêt ont atteint des niveaux historiques à près de 20 % pour éteindre le foyer inflationniste. Même si les taux peuvent encore être augmentés (ce qui n’est pas notre scénario), nous pensons que nous ne sommes pas dans le même paradigme pour deux raisons :

– L’inflation n’a pas atteint le niveau des années 1970.

– Le niveau de dette actuel permet paradoxalement un levier plus important de la politique monétaire.

En effet, l’impact sur les charges d’intérêt est multiplié.

Un calcul simple et rudimentaire peut être fait en considérant le niveau de dette sur PIB et le taux de référence de la banque centrale américaine. En multipliant les deux termes, nous obtenons ce qui pourrait être l’intensité monétaire sur les débiteurs.

Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu

Dans les années 1970, la dette sur PIB aux États-Unis était de 30 %, elle est maintenant de 130 %. L’intensité monétaire est donc équivalente, voire plus forte, que dans les années 1970, comme en témoigne la courbe verte.  La série d’efforts d’arrêt/démarrage de la lutte contre l’inflation dans les années 1970 a finalement nécessité les politiques de taux d’intérêt drastiques de Volcker, qui auraient des conséquences économiques beaucoup plus désastreuses aujourd’hui, compte tenu des niveaux d’endettement actuels. Aussi difficile que cela puisse être, l’histoire nous apprend qu’il est préférable de s’attaquer aux problèmes lorsqu’ils sont encore relativement petits.

Il est manifeste que, comme l’a écrit ce mois-ci Jamie Dimon, le monde n’est pas prêt pour des taux à 7%.

Sources :  Youtube, Bloomberg TV

L’épargne COVID accumulée aux États-Unis se situe à environ 2 700 milliards de dollars, selon les données du Bureau of Economic Analysis. Cette épargne a été constituée pendant la pandémie de COVID-19, alors que les ménages américains ont reçu des prestations sociales importantes et que la consommation a été freinée par les confinements et les restrictions. Il est probable que les ménages américains continueront à puiser dans leur épargne COVID tant que l’inflation restera élevée. Cela pourrait avoir un impact négatif sur la croissance économique, car les ménages auront moins d’argent à dépenser pour d’autres biens et services. Il est important de noter que l’épargne COVID n’est pas une ressource illimitée. Les ménages américains devront éventuellement commencer à rembourser leurs dettes et à reconstituer leur épargne pour l’avenir, ce qui sera une pression moindre sur l’inflation.

Source : Refinitiv datastream

Les Américains en dehors des 20 % les plus riches du pays ont épuisé leurs économies supplémentaires et ont maintenant moins de liquidités en main qu’au début de la pandémie, selon la dernière étude de la Réserve fédérale sur les finances des ménages. Pour les 80 % des ménages les plus pauvres en termes de revenus, les dépôts bancaires et autres actifs liquides étaient plus bas en juin de cette année qu’en mars 2020, après ajustement pour l’inflation.

Source : Bloomberg

Il est donc peu probable que même si les taux vont rester élevés longtemps (nous l’avons explicité à maintes reprises), ils resteront peu ou prou à ce niveau.

Cependant, nous sommes convaincus que les banques centrales maintiendront les taux d’intérêt élevés et que l’offre de nouvelles obligations continuera d’augmenter alors que le gouvernement fédéral est confronté à des déficits croissants. Une difficulté structurelle pour les États qui affaiblira la croissance potentielle future.

Il est crucial de souligner que l’endettement élevé à l’échelle mondiale n’est pas nécessairement négatif. S’il est utilisé pour investir dans des projets productifs, il peut contribuer à la croissance économique. En revanche, s’il est utilisé pour financer des dépenses de consommation ou des projets non rentables, il peut devenir problématique.

Risques et opportunités sur les actifs

L’inflation devrait revenir à la normale dans une perspective de moyen terme car les banques centrales ont montré qu’elles sont prêtes à agir. Les quatre grandes banques centrales des pays avancés ont toutes réaffirmé leur objectif de stabilité des prix à 2 % à moyen terme. Cette unité est importante car elle montre que les banques centrales sont déterminées à travailler ensemble pour lutter contre l’inflation.

Nous pensons que les taux devraient rester à des niveaux élevés pendant une période prolongée.

Après une longue période où la prime de risque était en faveur des actions par rapport aux obligations, un rééquilibrage s’est mis en place. L’écart de rendement entre une obligation d’État américaine et le dividende du S&P 500 est revenu à la situation d’avant la grande crise financière de 2007.

Ecart entre le taux 10 ans us versus rendement du dividende du S&P 500

Sources :  Bloomberg, Groupe Richelieu

L’actif obligataire retrouve enfin son attrait, tant en termes de rentabilité que de construction de portefeuille sur des actifs dont la corrélation permet une diversification en fonction de l’horizon de placement.

Il n’y a pas de repas gratuit, cela implique des risques sur les émetteurs privés ou étatiques les plus fragiles. Les refinancements seront plus délicats et les investisseurs devront être plus sélectifs. Nous nous focaliserons sur la qualité des émetteurs et leur capacité à générer des cash-flows.

Taux annuels de défaillance des entreprises de catégorie spéculative

Source : Standard & Poor’s Financial Services

La période « sans défaut ou presque » est bel et bien révolue. Le pourcentage de sociétés « zombies » dans l’indice Russell 3000 est à son plus haut niveau historique, bien plus élevé que ce qui a été observé pendant la bulle Internet (une société « zombie » est définie comme une société qui ne peut pas payer les intérêts de sa dette sur ses revenus d’exploitation). La hausse des taux d’intérêt pourrait pousser le pourcentage de « zombies » encore plus haut et finalement produire une vague de défauts de paiement sur la dette qui aura des conséquences sur les marchés les plus fragiles.

Pourcentage de sociétés « zombies » dans l’indice Russell 3000

Source : The Leuthold Group and Bank of International Settlements

Les économistes bancaires s’attendent à un affaiblissement des conditions de crédit au cours des six prochains mois, selon le dernier indice des conditions de crédit de l’American Bankers Association.

Source : American Bankers Association

A l’opposé, les entreprises qui ont une capacité d’investissement et de croissance seront les grandes gagnantes de ce changement plus structurel que conjoncturel. Une période où l’analyse fondamentale reprendra ses galons perdus que ce soit pour les  actions ou les obligations.

Allocation Globale

Nous persistons à rester prudents compte tenu de nombreuses incertitudes et des effets de ciseaux qui vont se matérialiser dans les prochains mois.

1er effet ciseau : la Chine

Nous pensons que les marchés sont préoccupés par le découplage de la Chine avec l’économie mondiale. Si la Chine s’enfonce dans une déflation entraînée par l’effondrement de son immobilier, les répercussions sur l’économie mondiale seront importantes (surtout en Europe). À l’inverse, si la Chine rebondit, la déflation importée dans les pays développés depuis le début de l’année et qui a permis en partie une stabilisation de l’inflation en Europe et aux États-Unis (matières premières) prendra fin. Une pression inflationniste supplémentaire pourrait surgir.

Prix à la production et prix à la consommation en Chine

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

2ème effet ciseau : l’immobilier

Si l’immobilier baisse de manière significative (lié à la hausse des taux d’intérêt), l’effet richesse du consommateur sera mis à mal, les défauts augmenteront significativement et le retour à l’épargne sera nécessaire impactant ainsi la consommation. Dans la situation inverse, la dynamique de désinflation sera terminée et poussera les banques centrales à faire plus.

Variation annuelle du prix des maisons aux US et taux immobilier

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

3ème effet ciseau : l’emploi

Le marché de l’emploi doit se dégrader pour limiter une inflation salariale conjoncturelle.

Aux États-Unis, l’emploi commence à se dégrader et un niveau de taux de chômage au-dessus de 4,5% serait nécessaire. Ce sera certes une bonne nouvelle pour l’inflation (et donc les banques centrales) mais une très mauvaise nouvelle pour la croissance, qui est en grande partie portée par la consommation (principalement aux États-Unis). Nous pensons que les velléités salariales vont rester prégnantes en Europe.

Chômage et taux de participation aux Etats-Unis

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

4ème effet ciseau : les entreprises

Les douze derniers mois ont été marqués par une faculté des entreprises à répercuter l’inflation sur leurs clients tout en maintenant (voire en augmentant en premier lieu) leur marge opérationnelle. La baisse de l’inflation voulue par les banques centrales prend forme. La croissance nominale va s’affaiblir et être défavorable. Dans le même temps, les coûts salariaux et énergétiques resteront tendus. Les marges vont sensiblement s’ajuster à la baisse.

Les principales banques centrales resteront durablement engagées dans la voie de la réduction de leur portefeuille d’actifs, tandis que la Banque du Japon durcira très progressivement sa politique monétaire en 2024, ce qui limitera le soutien aux marchés actions mondiaux.

Nous pensons qu’à l’heure actuelle les risques à la baisse pour les actifs risqués sont plus importants que les risques à la hausse : peu de potentiel à court terme dans un contexte de ralentissement économique. Il faudra se rassurer davantage sur la dynamique inflationniste pour retrouver du potentiel. Les valorisations sont élevées, le positionnement des investisseurs est agressif et les fondamentaux macroéconomiques se détériorent. Nous pensons que les vents contraires pour les actifs risqués (Quantitative Tightening, hausse des taux, ralentissement de la croissance, risques géopolitiques) sont plus forts que les vents favorables (réouverture de la Chine, etc.).

Bloomberg World Large, Mid & Small Cap Price Index en Euros

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

Nous anticipons une phase délicate pour la croissance. Le ralentissement de la croissance américaine et la faiblesse continue en Europe entraîneront une stabilisation, voire une baisse des taux souverains et une baisse du dollar. Cette phase devrait être défavorable aux actifs les plus risqués avec des phases haussières violentes qu’il faudra mettre à profit.

ACTIONS US

La prime de rendement des actions américaines depuis le début de l’année par rapport au reste des principales catégories d’actifs persiste. Certaines thématiques, que nous privilégions au sein des portefeuilles, liées au développement de l’intelligence artificielle, de la robotique et de la relocalisation soutiennent les entreprises américaines. La dynamique bénéficiaire s’est d’ailleurs récemment améliorée, avec des attentes de BPA du S&P 500 révisées en hausse depuis juillet. Nous insistons encore sur la crédibilité accrue de la banque centrale américaine et des caractéristiques défensives du marché actions américain dans une période de volatilité.

Indicateurs économiques aux États-Unis

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

Nous restons dans un scénario de soft landing et des taux qui devraient se stabiliser. Même si notre scénario central est une dépréciation, le statut de valeur refuge du dollar est un avantage dans une optique de construction de portefeuille. Nous continuons à privilégier les valeurs de croissance à moins que l’indice manufacturier ne dépasse 55 ou que les taux d’État à 10 ans n’atteignent les 5%.

ACTIONS EUROPE

Nous restons négatifs sur les actions européennes et sous-pondérons les secteurs cycliques par rapport aux secteurs défensifs. Nous prévoyons un affaiblissement de la croissance et une inflation sous-jacente encore élevée en adéquation avec une situation de stagflation. La banque centrale européenne ne peut relâcher la pression sur la dynamique des prix, encore importante malgré le retournement conjoncturel. L’inflation, qui n’était qu’exogène, liée à des chocs externes, est devenue progressivement endogène du fait de la longueur de la période inflationniste. Cela implique des primes de risque plus élevées.

Malgré un ralentissement de la croissance cet été, le marché du travail reste solide. Le taux de chômage reste à des niveaux assez bas, grâce notamment à une meilleure participation. Le chômage devrait rester modéré avant de progresser lentement de 0,2 pp pour atteindre 6,6 % courant 2024. La pression des coûts salariaux n’en est encore qu’à ses débuts et les marges vont être sous tension pendant plusieurs trimestres. Nous anticipons une sous-performance des secteurs cycliques par rapport aux secteurs défensifs. L’industrie et les secteurs énergivores devraient être dans une situation délicate tant en termes de débouchés européens qu’étrangers (notamment chinois).

Taux de chômage en zone euro

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

ACTIONS JAPON

Le gouverneur de la Banque du Japon a fait marche arrière sur une remontée possible des taux avant la fin de l’année, douze jours après avoir dit l’inverse dans une interview en argumentant que le Japon n’est toujours pas « au-devant d’une situation où l’inflation et la croissance des salaires seraient stables et durables« .

La résilience de l’activité pourrait trouver un nouveau soutien grâce à la dépense publique. Le Premier Ministre F. Kishida a affiché sa détermination à renforcer le soutien budgétaire en évoquant un remaniement gouvernemental et des annonces à venir (à un an des élections au sein de son parti) afin de s’assurer que l’économie poursuive son rebond.

Nous nous attendons à beaucoup de volatilité sur ce marché tant pour les actions que pour la devise au gré des déclarations de la BoJ. Les actions ont connu des prises de bénéfices en septembre en raison de leur performance depuis le début de l’année, comme le montrent les chiffres hebdomadaires publiés par le ministère des finances (« foreign outflows ».) Le constat dans les statistiques ces prochains mois d’une bonne tenue aussi bien de la croissance que de l’inflation, et de hausses annuelles de salaires, permettra à la BoJ de se libérer du contrôle de la courbe des taux souverains (YCC) et de remonter ses taux directeurs durant la deuxième partie de 2024. Tant que la BOJ ne durcit pas son taux, nous gardons une position neutre en relatif sur les autres zones géographiques.

Inflation core et inflation globale au Japon

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

ACTIONS ÉMERGENTES

La délocalisation des chaînes d’approvisionnement est un sujet préoccupant, car la sécurité et la résilience priment désormais sur la rentabilité. Les grandes entreprises privées chinoises ont été le moteur de la croissance des exportations chinoises, en construisant de nouvelles chaînes d’approvisionnement mondiales. Ces entreprises ont aussi investi massivement dans l’étranger. C’est finalement la Chine qui veut se globaliser.

Le gouvernement chinois a mis en place des mesures de relance, telles que des baisses d’impôts et des subventions aux entreprises. Cependant, les difficultés structurelles, telles que le vieillissement de la population et la dette excessive, limitent le potentiel de croissance de l’économie chinoise. La croissance chinoise se reprend modérément, mais elle ne devrait pas retrouver ses niveaux historiques. Les relations sino-américaines sont tendues, ce qui pourrait peser sur les marchés émergents.

Indice Chinois CSI 300

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

L’économie chinoise semble montrer des signes de reprise plus solides en septembre, selon l’analyse de données satellitaires par SpaceKnow. L’activité autour des centres commerciaux chinois est restée à des niveaux relativement élevés, et la production de ciment a poursuivi son redressement depuis juin. Cependant, bien que ces indicateurs laissent entrevoir une reprise, des questions persistent sur la durabilité de cette tendance, compte tenu de la faiblesse persistante du secteur immobilier. L’indice des ventes de tous les secteurs de World Economics pour la Chine a atteint son plus haut en six mois en septembre, et l’indice des PMI des industries émergentes est passé à 54 en septembre.

Source : BloombergNEF

OBLIGATIONS SOUVERAINES

Le retrait des banques centrales s’est poursuivi. Au Japon, les derniers ajustements sur le «YCC» (contrôle de la courbe des taux) ont favorisé une accélération de la partie longue. Cela participe déjà aux pressions haussières sur l’ensemble des autres taux mondiaux qui ont retrouvé leur plus hauts du mois d’août. Nous pensons que la baisse du potentiel de croissance aux États-Unis dissipera les inquiétudes des marchés quant à une hausse importante des taux de la Fed.
Les investisseurs se concentreront sur la croissance économique. Les niveaux d’objectif de début d’année, 4.50% sur le 10 ans US, sont atteints. Le retrait de l’ensemble des banques centrales est bien intégré et la distorsion liée aux banques centrales bien corrigée, ce qui va dorénavant réduire les pressions haussières. Le marché intègre en grande partie le fait que Jerome Powell garde un discours restrictif pendant de nombreux mois. C’est dorénavant un point d’entrée compte tenu de notre préférence pour la qualité. En Europe, la conviction est plus mesurée. L’Allemagne, qui bénéficiera d’une décote tant qu’elle vise l’équilibre budgétaire, sert de facteur de rappel. A l’inverse, un équilibre budgétaire précaire en Italie risque d’accroitre le spectre d’une augmentation de la prime de risque. La Banque Centrale Européenne n’aura pas le choix contre une inflation qui s’ancre malgré tout. Mise à part les obligations US, nous maintenons des durations faibles.

Taux d’états US

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

OBLIGATIONS CREDIT IG

En dépit de la hausse marquée des taux souverains, en particulier aux Etats-Unis, les spreads Investment Grade (IG) sont restés globalement stables, témoignant de leur résilience face au retour des craintes de durcissement monétaire excessif des banques centrales. Le segment Investment Grade devrait rester à l’abri des fluctuations du contexte économique et le ralentissement de l’activité que nous anticipons ne devrait pas avoir un impact significatif. Les rendements Investment Grade restent à des niveaux très intéressants qu’il convient toujours de sécuriser, d’autant plus que le mouvement haussier sur les taux souverains ne sera que temporaire selon nous et s’inversera lorsque la pause durable des banques centrales pourra être confirmée. Dans cette optique, les maturités jusqu’à 5 ans nous semblent particulièrement attractives. Le marché primaire devrait s’animer ouvrant la voie à des opportunités. Les obligations d’entreprises Investment Grade vont jouer un rôle important en tant que générateurs de revenus dans les portefeuilles.

Spread de credit Investment grade /  Crossover

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

OBLIGATIONS CREDIT HIGH YIELD

La résilience des spreads High Yield continue de surprendre, ces derniers n’ayant réagi ni à la multiplication des signaux de faiblesse de l’activité en Europe, ni à l’incertitude autour de l’évolution de la politique monétaire des banques centrales.

La frilosité des investisseurs envers les entreprises les plus risquées commence toutefois à se voir sur le marché du primaire et devrait se refléter progressivement sur le marché secondaire alors que leurs conditions de refinancement resteront difficiles dans la durée et que la croissance restera insuffisante. Le ralentissement économique en cours ne s’accompagnera pas de mesures budgétaires ou monétaires, ce qui devrait contribuer à la remontée continue du taux de défaut des entreprises. Les niveaux des indices iTraxx toujours très bas montrent ce décalage entre la perception des investisseurs toujours positives (voire trop) et les enjeux des prochains mois.

Nombre de faillites aux Etats-Unis

Source : Apollo Research, WhaleWire

Les Etats-Unis devraient être plus sensibles à la remontée des défauts compte tenu des niveaux actuels de refinancement. Nous privilégierons sur ce segment encore l’Europe et la partie crossover (partie la moins risquée). Dans ce contexte, nous apportons une attention particulière aux dettes hybrides corporate IG dont les « step-up » après les dates de call sur des actifs de bonne qualité.

Spreads high yiels versus volatilité implicite du marché actions (VIX)

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

OBLIGATIONS ÉMERGENTES

La corrélation entre les rendements émergents et américains est tombée à presque zéro. Habituées aux chocs inflationnistes, les banques centrales ont été beaucoup plus rapides à réagir (dès 2021). Le processus de désinflation sur les marchés émergents se déroule plus rapidement que nous ne l’avions prévu précédemment – cela devrait permettre aux banques centrales des marchés émergents de baisser les taux plus tôt et plus rapidement que celles des pays développés. La banque centrale hongroise a réduit son taux directeur pour la troisième fois d’affilée le mois dernier, tandis qu’un assouplissement monétaire est également débattu en Pologne et en République tchèque. La corrélation avec les actifs risqués et la force actuelle du dollar nous amènent à plus de prudence. Nous attendons un mouvement de défiance pour revenir sur la classe d’actifs. Si les obligations des marchés émergents devaient baisser, toute perte pourrait être considérée comme une opportunité d’achat, compte tenu des nombreux éléments positifs. 

Taux des banques centrales émergentes

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

MATIERES PREMIERES

La consommation de pétrole n’a jamais été aussi importante cette année. L’Arabie Saoudite et la Russie, via l’OPEP +, maintiennent une politique restrictive. Au-delà d’aléas géopolitiques conjoncturels, la question reste celle de l’équilibre du marché entre une offre qui se réduit et une demande encore soutenue.

Sans atterrissage brutal de l’économie, les prix devraient être soutenus sans dépasser outre mesure les 100 dollars le baril sur le brent. En effet, le passage sur ce niveau pourrait provoquer un effet négatif sur les consommateurs et baisserait la consommation globale. Ce qui serait l’inverse des volontés des producteurs de pétrole. La Chine contribuera massivement à cette croissance de consommation, malgré des signes récents de normalisation. La demande américaine est également robuste, soutenue par des données économiques positives. Quitte à nous répéter, le secteur énergétique devrait bénéficier de cette situation. Ce cadre pourrait constituer un catalyseur supplémentaire pour le secteur, notamment avec les récentes augmentations de dividendes et les rachats d’actions.

Production de l’OPEP et prix du pétrole

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

DEVISES

USD : Une politique monétaire durablement restrictive est désormais largement intégrée. Celle-ci nous parait même excessive au regard du ralentissement à venir de la croissance et de l’inflation. Le constat de statistiques orientées en ce sens devrait permettre au dollar de s’installer dans une tendance baissière avec l’anticipation d’une réduction des taux directeurs à partir du T3-2024. Nous restons négatifs sur la paire USD/EUR avec un objectif 1.12 à 6 mois. 

CHF : La BNS cherchera à laisser le franc suisse partiellement reflué une fois l’inflation maitrisée en maintenant un retard de normalisation de politique monétaire par rapport à la BCE, d’autant qu’elle est beaucoup moins éloignée du taux de long terme pour le taux directeur. Cette stratégie a pour objectif de soutenir l’économie suisse, qui est fortement exportatrice. Elle ne relèvera plus ses taux directeurs voire les baissera bien avant la BCE. Nous sommes négatifs sur la devise. 

JPY : Les investisseurs financiers ont nettement revu à la baisse leurs attentes concernant un ajustement imminent de la politique monétaire, en le repoussant à 2024, ce qui a lourdement pesé sur le yen. Le mouvement haussier devrait reprendre au fur et à mesure que la BoJ se rassure quant à la permanence de l’inflation et à la capacité pour elle de se montrer plus restrictive. Nous sommes positifs sur la devise.

Devises contre euro

Sources : Bloomberg & Groupe Richelieu

Tableau d’allocation

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