2024 : presque le meilleur des mondes possible… Compte tenu de ce que nous avons vécu !
Point Macro
La croissance du PIB en 2023 devrait dépasser les prévisions d’il y a un an, de 1 point de pourcentage à l’échelle mondiale et de 2 points de pourcentage aux États-Unis, tandis que l’inflation de base est passée de 6 % en 2022 à 3 % en séquence dans les économies qui ont connu une flambée des prix après la COVID. Notre scénario central est fondé sur une économie mondiale en atterrissage en douceur en 2024. Des élections auront lieu dans plusieurs pays l’année prochaine. Avec la montée du populisme et de la polarisation, nous devrions avoir quelques surprises négatives. Nous pensons avoir une bonne visibilité en termes d’inflation et donc de politique monétaire pour les premiers mois de l’année. Les banques centrales resteront vigilantes et tarderont à plonger dans un cycle de baisse des taux. Un atterrissage en douceur de l’économie américaine et mondiale, combiné à la baisse de l’inflation, devrait être un cocktail favorable. Si la politique monétaire continue de fonctionner avec des décalages longs et variables, il serait prématuré de déclarer une victoire totale sur l’inflation.
Core inflation (Inflation globale hors énergie et produits alimentaires)
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Nous prévoyons plusieurs facteurs favorables à la croissance mondiale en 2024, notamment une forte croissance des revenus réels des ménages, une moindre pression du resserrement monétaire et budgétaire, une reprise de l’activité manufacturière. Même si la dynamique de croissance restera hétérogène entre les régions, la dynamique d’inflation sera plus homogène. La plupart des pays connaissent une désinflation progressive due à la dissipation des effets des chocs d’offre combinée à un resserrement des conditions financières. Les conditions de liquidité continuent de diverger à travers le monde : les États-Unis et l’Europe sont en phase de resserrement tandis que le Japon évolue dans le sens contraire ; la Chine continue quant à elle d’offrir des stimuli réguliers. La croissance du PIB continuera à résister en 2024, mais elle restera plutôt atone et plus faible qu’en 2023. Nous prévoyons une récession aux États-Unis vers le milieu de l’année 2024, mais brève et peu profonde.
Estimation de croissance du PIB
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Les principaux facteurs indiquant une croissance mondiale atone s’expliquent notamment par un taux de chômage plus important, des taux d’intérêt plus élevés et une moindre impulsion de la politique budgétaire. La croissance économique sera soutenue grâce à la baisse de l’inflation, qui rétablit l’augmentation du revenu disponible réel et une épargne excédentaire des ménages, à des marchés du travail très serrés qui ne risquent pas de s’affaiblir brusquement et qui continuent à générer une croissance solide, quoique plus lente, des salaires.
Taux banques centrales
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
L’impulsion désinflationniste donnée par l’énergie s’estompe rapidement et se ralentit pour les prix des denrées alimentaires. Dans le même temps, les pressions salariales restent formidablement élevées, ce qui rend la désinflation de base difficile. La plupart des grandes banques centrales des pays développés ont probablement terminé leur cycle de hausses de taux, mais selon notre scénario de référence d’une économie mondiale forte, les baisses de taux ne devraient pas intervenir avant le second semestre de 2024 (T4 aux États-Unis, 2025 en zone euro). Dans de nombreux pays émergents, les taux des banques centrales sont déjà en baisse. Nous pensons que les banques centrales des économies avancées suivront timidement voire continueront d’être sensibles aux risques inflationnistes. Les banques centrales n’agiront que si un risque systémique voit le jour. A nous de détecter les signaux faibles qui nous plongeraient dans un scénario beaucoup plus complexe.
US : Une surchauffe qui se modère enfin.
En 2024, l’économie américaine devrait connaître un ralentissement avec une croissance du PIB réel passant de 2,5 % à 1,2 %. L’inflation, bien que faible, devrait se situer entre 2,5 et 3 %, légèrement supérieure à l’objectif de la Fed. Le taux de chômage, quant à lui, devrait augmenter pour atteindre près de 4.5 % d’ici la fin de l’année, en hausse par rapport au taux de 3,4 % enregistré en 2023.
Chômage et taux d’emploi aux US
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Dans notre scénario de référence, nous envisageons un atterrissage en douceur pour l’économie américaine. Une croissance positive, bien que sous le potentiel, est attendue. Contrairement à l’Europe, l’inflation a été particulièrement affectée par la demande résiliente du consommateur US : la modération de l’économie aura un effet désinflationniste. L’inflation des loyers (44 % de pondération) a ralenti, passant de plus de 16 % au début de 2022 à seulement 3 % en septembre 2023. Cette dynamique de croissance, impliquant une désinflation progressive et un ralentissement de l’emploi, devrait permettre à la Fed d’envisager une baisse des taux d’intérêt de 25 bps au deuxième semestre, jusqu’à atteindre un taux terminal de 3.5 % en 2026. La Fed semble réussir à naviguer dans un atterrissage en douceur où le chômage n’augmente que marginalement, tandis que les tensions sur le marché du travail s’atténuent à mesure que la demande de main-d’œuvre diminue. L’économie américaine a surpris positivement, dépassant les prévisions initiales d’une récession par un atterrissage en douceur. Ce changement est attribuable à la résilience de la consommation, une impulsion budgétaire forte et des investissements dynamiques soutenus par des politiques favorables. Cette performance contraste avec la zone euro et la Chine, où la confiance des consommateurs et des entreprises est nettement inférieure. Les moteurs de la consommation restent encore solides. La force de la consommation américaine est soutenue par un marché du travail robuste et repose sur la croissance solide du revenu disponible.
Croissance des salaires aux US
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Note : La croissance des salaires mensuelle est annualisée
Une épargne excédentaire considérable, réduite d’environ 55 %, joue également un rôle crucial. La valeur nette réelle de la richesse des ménages a augmenté d’environ 15 % par rapport aux niveaux pré-pandémiques, grâce en partie à un refinancement massif des prêts hypothécaires et à des prix immobiliers résilients. Malgré cette résilience, l’économie américaine n’est pas sans défis. L’augmentation des défauts de paiement et la reprise des remboursements des prêts étudiants, associées à des taux d’intérêt réels plus élevés, indiquent un potentiel de modération de la consommation. Néanmoins, nous prévoyons toujours une consommation robuste à l’avenir. Un scénario alternatif pourrait voir l’économie américaine subir un atterrissage brutal, surtout si une surchauffe entraîne un resserrement des conditions financières mondiales. Ce risque pourrait se concrétiser au second semestre de 2024 ou au début de 2025. Face à ces perspectives, la Fed jouera un rôle clé dans le dessein de l’économie américaine. La baisse progressive des taux d’intérêt peut être un signe de son engagement à soutenir l’économie tout en équilibrant les objectifs d’inflation. La modération des salaires devrait donc perdurer. La Fed doit cependant rester attentive aux signes de surchauffe économique et être prête à ajuster sa politique si nécessaire. L’accélération du resserrement quantitatif de la Fed et l’augmentation des émissions de titres d’État américains pour couvrir l’important déficit budgétaire du pays continuera de limiter les flux de crédit. Etant donné que sa volonté est d’éviter le « stop and go » des années 70, elle évitera de montrer qu’elle est prête à inverser brusquement sa politique monétaire. Nous nous attendons à une longue période de stabilité. Le niveau de taux actuel est, pour nous, compatible avec ses objectifs.
Taux FED, Inflation et PIB des années 70
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
L’économie américaine se dirige vers 2024 avec une dynamique positive mais modérée. De nombreux textes législatifs américains emblématiques, tels que la loi bipartisane sur les investissements dans les infrastructures et l’emploi en 2021, la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) et la loi CHIPS en 2022, devraient stimuler la croissance de la productivité sur plusieurs années, car les incitations gouvernementales encouragent une augmentation des investissements du secteur privé. Alors que des défis subsistent, notamment en termes d’inflation et de taux de chômage, les fondamentaux solides tels que la forte consommation et les investissements devraient soutenir la croissance. La désinflation étant bien engagée, les États-Unis entrent en 2024 dans de bonnes conditions.
Europe : Risque de stagflation mais des éléments rassurants à court terme
La bonne nouvelle est que l’inflation a atteint son pic. La mauvaise nouvelle est que, en l’absence de relance budgétaire d’une ampleur comparable à celle des États-Unis, des effets du choc énergétique provoqué par l’Ukraine et des hausses de taux d’intérêt de la BCE, l’économie de la zone euro est au bord de la récession.
En 2024, la zone euro devrait connaître une croissance économique très modérée, avec des prévisions de stagnation autour de 0,5 %. Cette dynamique de croissance, jugée anémique, pourrait toutefois connaître une légère reprise en 2025. Nous ne pensons pas que cela pousse la BCE à commencer à réduire les taux d’intérêt, dans l’espoir de ramener l’inflation à un niveau inférieur à son objectif d’ici 2025. Face à un contexte de stagflation, un ralentissement économique accompagné d’une inflation élevée devrait permettre aux banques centrales européennes de maintenir leur politique monétaire en 2024 sans changements majeurs. L’Europe et le Royaume-Uni ont été particulièrement affecté par les chocs énergétiques, bien plus sévèrement que les États-Unis. Dans la zone euro, la croissance économique est prévue en dessous des attentes du marché, principalement en raison des impacts prolongés de la pandémie de COVID-19 et des chocs énergétiques. Le ralentissement économique en Asie, notamment en Chine, impacte négativement la production industrielle en Allemagne, et par extension, la croissance économique dans la zone euro. De plus, le resserrement des conditions financières mondiales, principalement en raison de la politique monétaire des États-Unis, exerce une pression supplémentaire sur la consommation et l’investissement en Europe. La confiance des consommateurs en Europe reste faible.
Confiance du consommateur
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Les ventes au détail dans la zone euro restent inférieures à la tendance pré-pandémique, tandis que les ventes aux États-Unis sont bien supérieures.
Vente au détail en volume ( base 100 11/2015) et variations mensuelles
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Fait positif, la zone euro n’a pas subi de nouveaux chocs économiques majeurs cette année, mais les effets du choc énergétique précédent et du resserrement de la politique monétaire mettent du temps à se dissiper. La BCE envisagera des baisses de taux à partir de 2025 et attendra que l’inflation soit solidement ancrée en dessous ou proche de 2%. Nous assistons à un scénario de croissance très modérée, presque stagnante, pour les prochains trimestres, avec une légère accélération prévue fin 2024. Cette prévision est fondée sur plusieurs facteurs, notamment une baisse de l’inflation, une sécurité accrue de l’approvisionnement énergétique, un début d’un cycle de baisse des taux et un assouplissement modéré de la politique budgétaire. La transmission des taux d’intérêt dans la zone euro est plus rapide qu’aux États-Unis, car plus de 70 % des financements des entreprises de la zone euro proviennent des banques (souvent à des taux variables), contre environ 80 % des financements des entreprises américaines provenant des marchés de la dette (principalement à taux fixes). L’Europe a progressé dans la réduction de sa dépendance à l’énergie russe, mais ce processus prendra des années. En termes de risques, la zone euro est confrontée à de nombreux défis. Les tensions géopolitiques et les fluctuations des prix du pétrole restent des facteurs de risque significatifs. Un resserrement persistant des conditions financières dû aux retombées des politiques américaines constitue également un risque majeur. Ces facteurs pourraient entraîner une récession à court terme alors même que les salaires pourraient continuer à augmenter.
Extrait de la présentation d’Isabel Schnabel: Monetary policy in times of stubborn inflation
le 21 novembre 2023
Source : European Central Bank (Cliquez ici)
La zone euro doit trouver un équilibre dans sa politique budgétaire. Un mauvais compromis sur les règles budgétaires pourrait entraîner une politique beaucoup plus stricte, conduisant à une récession plus profonde, une désinflation accrue et un cycle de baisse plus agressif. En conclusion, bien que la zone euro soit confrontée à une série de défis économiques complexes, il existe des signes de reprise potentielle. La BCE jouera un rôle essentiel dans cette séquence. Nous nous attendons à ce qu’elle continue, dans une moindre mesure, à avoir une attitude restrictive même en cas de risque de stagflation.
Source : European Central Bank (Cliquez ici)
La désinflation dans la zone euro n’est pas aussi avancée qu’aux États-Unis, mais comme le risque de récession augmente et que l’inflation ralentit, la BCE restera inactive et laissera le temps aux mesures déjà prises de produire leurs effets. Deux éléments de surprise positive peuvent être appréciables pour l’Europe : d’une part la Chine pourrait rebondir plus fortement que prévu, ce qui stimulerait la demande mondiale et la croissance en Europe ; d’autre part, les prix du pétrole pourraient baisser, ce qui réduirait l’inflation et stimulerait la croissance.
Chine : Le pays est à un tournant de son modèle de croissance
Nous nous attendions à ce que la réouverture de la Chine après le COVID stimule la croissance mondiale en 2023, mais cet optimisme a rapidement été déçu. La cause profonde de la léthargie économique est liée aux problèmes du secteur immobilier, qui ont affecté les promoteurs immobiliers et les finances municipales, et ont fini par contaminer l’ensemble de l’économie. En 2024, la Chine devrait connaître une croissance du PIB de 4,8 %, légèrement inférieure à celle de 2023 qui était de 5,3 %. Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre en 2025 avec une croissance estimée à 4,6 %. Cependant, il est essentiel de noter que cette croissance, bien que modérée, est soutenue par un assouplissement progressif de la politique monétaire et des mesures budgétaires ciblées. Pour compenser le ralentissement de la croissance, le gouvernement chinois s’efforce de stimuler l’investissement public, notamment dans le secteur manufacturier haut de gamme. Cette stratégie vise à atténuer l’impact de la stagnation des investissements dans le secteur immobilier. Le sentiment à l’égard de la Chine est devenu trop négatif, étant donné l’éventail des récentes mesures de relance et la nette baisse de la construction de nouveaux logements, déjà produite, et qui pourrait conduire à une stagnation de l’activité de construction en 2024.
Investissement direct en Chine
Source : FT
Nous anticipons une stabilisation du marché immobilier dès le premier semestre 2024, un facteur crucial pour la confiance des investisseurs et la stabilité économique. La perte de valeur nette immobilière des ménages chinois n’amène pas un engouement pour la consommation et la confiance. Cependant, la Chine n’est pas confrontée à une crise du logement de type américain ou à une crise financière, car les réglementations sur les ratios prêt/valeur sont beaucoup plus strictes en Chine que les règles américaines en vigueur entre 2005 et 2008.
La Chine est confrontée à plusieurs défis, dont un vieillissement démographique, un taux de chômage élevé chez les jeunes et des déséquilibres sur le marché immobilier. Le gouvernement chinois, tout en reconnaissant ces problèmes, reste optimiste, considérant la récession actuelle comme temporaire. En réponse, un ensemble de mesures politiques a été mis en œuvre, visant à stabiliser les prix de l’immobilier et à stimuler la consommation intérieure. La Chine est à un tournant de son modèle de croissance. L’investissement dans l’immobilier, qui a longtemps été un moteur de la croissance, doit céder la place à des investissements plus productifs, notamment dans les infrastructures. En outre, des réformes sont nécessaires pour améliorer la mobilité du travail et ajuster l’âge de la retraite, contribuant ainsi à une économie plus dynamique et durable. Pour éviter un scénario de stagnation prolongée similaire à celui du Japon, les décideurs politiques chinois doivent agir de manière résolue pour stimuler la confiance et inverser la tendance de la croissance.
Inflation globale en Chine et prix à la production
Sources : Bloomberg , Groupe Richelieu
Un retard dans la mise en œuvre de mesures politiques adéquates pourrait compromettre le potentiel de croissance de la Chine. Notons que la Chine est devenue le premier exportateur dans des secteurs stratégiques critiques comme les véhicules électriques (VE) et l’énergie solaire et éolienne ce qui lui assure une croissance supplémentaire pour les années à venir.
Source : IEA (Cliquez ici)
Concernant l’inflation, nous prévoyons une hausse des prix à la consommation (CPI) vers la fin du premier trimestre 2024, en raison de la reprise progressive de la consommation. L’inflation des prix à la production (PPI) devrait également devenir positive, reflétant l’impact de la relance des infrastructures. Pour terminer, les relations entre les États-Unis et la Chine ont commencé à se réchauffer avec en point d’orgue, la réunion entre Joe Biden et Xi Jinping qui ouvre la porte à un répit à court terme dans les relations commerciales.
Japon : un changement structurel de vue sur l’inflation
En 2024, le Japon devrait connaître une amélioration notable de sa croissance économique, soutenue par une combinaison favorable d’inflation et une reprise dans le secteur manufacturier. Nous anticipons que la Banque du Japon mettra fin à sa politique de Contrôle de la Courbe des Rendements (YCC) et sortira de la Politique des Taux d’Intérêt Négatifs (NIRP) au premier trimestre de l’année. Après des années marquées par des anticipations déflationnistes, le Japon se trouve à un moment crucial, avec des variables nominales se comportant de manière plus normale.
Taux 1 an, 5 ans et 10 ans Japonais
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
La croissance économique s’est montrée résiliente malgré une faible demande extérieure et les anticipations d’inflation sont désormais ancrées à des niveaux positifs. La BoJ, répondant à la hausse des pressions inflationnistes internes et la baisse de sa devise, a commencé à assouplir son YCC. Néanmoins, elle reste prudente, attendant des preuves supplémentaires d’une inflation motivée par des facteurs internes plutôt que par la pression des coûts importés. La confiance dans les perspectives salariales est un indicateur clé pour la BoJ dans son évaluation de la durabilité de l’inflation. Alors que d’autres économies avancées ont resserré leur politique monétaire, la BoJ espère profiter des pressions sur les prix et relancer l’économie. Il y a des signes que cela fonctionne : les salaires réels japonais augmentent et le marché du travail est serré. Compte tenu de l’historique déflationniste du Japon, l’inflation est bienvenue et, jusqu’à présent, elle semble saine. Les négociations salariales de printemps de 2024 seront déterminantes pour l’avenir de la politique monétaire japonaise. Compte tenu de l’inflation élevée actuelle, des bénéfices solides des entreprises et de la pression publique croissante, nous anticipons le fait que les résultats de ces négociations seront au moins aussi robustes que ceux de 2023. La BoJ devrait conclure au printemps 2024 par un objectif d’inflation stable avec 2 % en vue. Sur cette base, nous nous attendons à la fin de la NIRP et du YCC, probablement dès janvier 2024, ou au plus tard en avril. Ces mesures ne signifieront pas un resserrement de la politique car les taux d’intérêt réels resteront extrêmement bas. Nous ne prévoyons pas de cycle rapide de hausse des taux et nous ne nous attendons pas à ce que le Quantitative Tightening (QT) commence avant 2025. Des hausses supplémentaires de 25 points de base sont attendues au 4ème trimestre 2024 et au 2ème trimestre 2025, portant le taux directeur du Japon à 0,5 % d’ici mi-2025. La politique budgétaire du Japon soutient cette inflation durable. Depuis 2020, les dépenses publiques ont augmenté considérablement, remplaçant les dépenses d’urgence de la pandémie par des subventions énergétiques et des transferts de revenus aux ménages à faible revenu et aux retraités. Avec les élections à venir et peu d’appétit parmi les décideurs politiques pour réduire les dépenses, cette tendance devrait se poursuivre, stimulant la croissance à court terme.
Le Japon reste le bon élève au sein des pays développés. Il constitue la seule grande économie dont la croissance va dépasser son potentiel en 2024. Les dépenses de consommation sont solides, tandis que les réformes de gouvernance adoptées par le monde des entreprises dans son ensemble contribuent à attirer des capitaux étrangers.
Ce scénario de croissance faible de décélération de l’inflation est globalement positif pour les actifs mais le chemin comporte de nombreux risques. Pour les prochains mois, nous avons la conviction que le marché peut croire à un état « Goldilocks». L’accès au crédit pourrait devenir de plus en plus restreint. Les défis persistants sur le marché de l’immobilier commercial et l’augmentation du coût de financement pour les banques sont susceptibles d’entraîner un accès restreint et un financement plus coûteux pour les consommateurs et les entreprises qui peuvent encore obtenir du crédit.
Prêts bancaires accordés aux entreprises et aux banques
Les risques d’un dérapage sont nombreux qu’il soit politique, géopolitique, économique, inflationniste ou financier.
Risque politique : en 2024, nous avons des élections dans plus de 20 pays, dont les États-Unis, représentant plus de 60% du PIB mondial. Avec la montée du populisme et de la polarisation, nous prévoyons une volatilité liée au cycle politique. La géopolitique devient plus complexe, ce qui fait peser des risques à la hausse sur les prix du pétrole, l’Europe étant particulièrement exposée.
Un deuxième risque majeur pour l’économie américaine est le dysfonctionnement politique permanent. Si le Congrès a évité une fermeture du gouvernement et, plus important encore, un défaut de paiement en relevant le plafond de la dette jusqu’en janvier 2025, la stagnation économique persistante, combinée à une immigration élevée, motivée par les guerres dans les régions voisines, pourrait entraîner une hausse du soutien aux partis politiques extrémistes. Enfin, les élections américaines de 2024 pourraient constituer un tournant géopolitique, car l’aide supplémentaire à l’Ukraine est en jeu, tout comme la prévisibilité de la politique étrangère et l’État de droit.
Risque Géopolitique : trois points chauds devraient rester au centre des préoccupations jusqu’en 2024 : la Russie-Ukraine, Israël-Hamas et la Chine-Taiwan. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a déjà montré qu’il peut perturber les marchés mondiaux, et il devrait se prolonger jusqu’en 2024, car la contre-offensive ukrainienne semble proche de son terme, en raison de l’hiver qui approche et des préoccupations concernant la fiabilité du financement et de l’artillerie des occidentaux. Le conflit entre Israël et le Hamas est déjà une tragédie humaine mais à ce jour, le conflit ne s’est pas généralisé au-delà. Une expansion incluant des États comme l’Iran pourrait dégénérer en un conflit régional aux implications économiques et militaires mondiales. Les tensions géopolitiques les plus importantes sur le plan économique sont celles liées à la Chine.
Sondage sur le statut de Taiwan (université de Chengchi)
Source : Université de Chengchi
Les frictions entre la Chine et l’Occident sont multiformes, Taïwan étant un point focal à court terme. Les élections taïwanaises du début de 2024 seront une boussole dans la mer de Chine pour l’ensemble de l’année.
Risque économique : une surchauffe de l’économie américaine peut encore entraîner un resserrement des conditions financières mondiales, conduisant à un atterrissage brutal aux États-Unis. Les excès budgétaires dans les pays développés constituent un risque à la hausse pour les taux d’intérêt réels mondiaux. Les décideurs chinois pourraient ne pas réussir à stabiliser les attentes.
Le bilan le plus fragile est entre les mains du secteur public. L’augmentation massive de la dette publique et le déficit budgétaire résilient font pression sur les taux d’intérêt réels et évincent les investissements privés. Les dynamiques de la dette ne sont pas durables avec le niveau actuel des taux d’intérêt, à moins qu’une consolidation budgétaire significative ne soit mise en œuvre à l’avenir.
Risque inflationniste : à court terme, une désinflation programmée pour quelques mois, un nouveau choc, une politique monétaire accommodante prématurée, pourraient mettre en place les conditions d’une autre vague inflationniste. De manière générale, le travail le plus facile est en train d’être fait : ramener l’inflation de 8% à 9% vers 3% à 4%, car les effets de base sont en action. Le passage de 3 % à 4% vers 1,5% à 2% sera certainement plus délicat. C’est aussi la crainte d’entrer dans une spirale de stop-and-go des années 70 qui a été un échec avant l’arrivée de Paul Volcker. La conclusion de ces deux expériences nous apparaît évidente : les banques centrales doivent monter leur taux d’intérêt à un niveau assez restrictif et en même temps à un niveau qui ne les oblige pas à les baisser en cas de crise. L’épisode des banques régionales et la faillite des SVB et de quelques consœurs se sont révélés être un bon test. La Fed peut agir rapidement et fermement mais ne modifiera pas sa stratégie.
Bilan et taux de la Fed
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Il faudra donc attendre un certain temps avant d’être certains que l’inflation est maîtrisée, voire même attendre que les risques de déflation reviennent sur le devant de la scène.
Nous abordons le début d’année, avec plus de confiance sur le fait économique. Profitons donc d’un moment où les étoiles sont alignées et que le marché y croit mais restons attentifs et vigilants aux changements de paradigmes provoqués par des surprises qui, nous en sommes certains, se présenteront cette année 2024.
Allocation
Nous restons dans la continuité du mois précédent en ce qui concerne les éléments macro-économiques. Nous sommes convaincus qu’à brève échéance, c’est la FED qui donne le «la». Nous avons pris la mesure des dernières communications de la banque centrale américaine. Même si la volonté de lutter contre l’inflation reste bien ancrée, nous avons la conviction que les prochains mois permettront de donner plus de latitude aux discours et surtout aux actions. Les décalages du resserrement cumulé de la politique monétaire, affectent dorénavant l’activité économique et l’inflation de manière tangible. Une désinflation progressive se met en place avec une bonne visibilité sur les prochains mois. Les anticipations d’inflation se modèrent.
Graphique : Anticipation d’inflation
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Le risque d’un « atterrissage brutal » de l’économie américaine est certes plus élevé mais notre scénario central reste celui d’un atterrissage en douceur qui permettra d’éviter des hausses de taux supplémentaires et une agressivité dans le discours des banquiers centraux.
L’économie américaine s’est révélée étonnamment résiliente au resserrement de la FED. L’activité a surpris par son dynamisme et les taux ont dépassé nos prévisions. Aux États-Unis, il existe une contradiction sur le consommateur américain entre ce qu’il ressent (les enquêtes de confiance sont au plus bas) et son état de santé réel qui n’est pas si mal ! Les dernières enquêtes sur l’emploi (payrolls, jobless claims) montrent encore une image de quasi plein-emploi, les ventes au détail restent solides et les revenus réels sont en progression.
Taux de chômage et confiance du consommateur aux US
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Nous surveillons avec attention les catalyseurs d’une autre vague inflationniste, mais elle semble repoussée quelque peu dans notre scénario actuel (aux Etats-Unis tout au moins).
La volatilité sur les taux devrait diminuer. Hors évènement exogène, ce scénario devrait être favorable aux actifs risqués notamment les actions. Nous rehaussons encore d’un cran notre opinion sur les actions pour la fin d’année sur l’ensemble des zones géographiques en particulier sur l’Europe et les pays émergents.
En Europe, les indicateurs publiés en fin de mois s’améliorent et suggèrent quelques signes d’inflexion jetant potentiellement les bases d’un momentum positif sur la fin de l’année et le début 2024. Les améliorations semblent généralisées notamment dans le secteur manufacturier allemand (enfin !).
Indicateurs économiques en Allemagne
Sources : Bloomberg , Groupe Richelieu
Cependant, il faudra être attentifs aux pressions inflationnistes qui découlent de cette amélioration (pression sur les coûts). Après une modération, elles montrent quelques signes d’intensification.
En ce qui concerne les pays émergents, une modération de la politique monétaire US et la baisse du dollar qui en découle devraient permettre une phase positive sur la zone.
Les défis restent toujours les mêmes entre les trois grandes zones géographiques. L’Europe est en risque de stagflation, la Chine en risque de déflation (phénomène classique après une crise immobilière de cette ampleur). Mais comme nous l’expliquions dans notre analyse prospective, tant que le marché reste dans une optique « soft landing » et désinflation, la dynamique engagée depuis début novembre peut perdurer. Le retour à un scénario boucle d’or (godilocks) sur le marché alimente ce regain d’optimisme. (En économie, le scénario « boucle d’or » fait référence à une situation optimale où la croissance est modeste, mais bien réelle, et l’inflation modérée).
En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous n’adhérons pas pour l’instant à des baisses de taux banques centrales aux US ou en Europe. Les éléments conjoncturels ne sont pas si négatifs que cela et les pressions inflationnistes structurelles restent tapies dans l’ombre. Il n’y aura pas de resserrement des spreads (qui reflète une légère récession), ni de mouvement des taux significatifs à la baisse qui permettra une appréciation des prix. Le segment obligataire dans son ensemble présente des rendements appréciables. Les courbes de taux devraient s’aplatir dans les prochains mois au fur et à mesure que les marchés n’anticipent plus de baisse de taux sur 2024.
Courbes swap Euro
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Nous conserverons une duration mesurée (2-4 ans) en étant sélectifs sur les émetteurs et en cherchant du rendement pour pallier à une hausse des segments plus long de la courbe. Les spreads de crédit euro Investment grade intègrent une légère récession que nous validons d’un point de vue macro-économique. Les indicateurs de crédit soutiennent notre vision fondamentale positive de la classe d’actifs. La forte hausse des taux d’intérêt ainsi que le ralentissement économique entraîneront une diminution des besoins de financement et de refinancement l’année prochaine dans le secteur Corporate Investment grade. Nous privilégions les obligations bancaires par rapport aux obligations d’entreprises compte tenu des niveaux de valorisation actuels par les récentes publications de résultats du troisième trimestre qui soulignent la robustesse du secteur.
CDS corporate IG versus seniors bancaires
Sources : Bloomberg, groupe Richelieu
Dans une logique de construction de portefeuille, seules les obligations souveraines US et dans une certaine mesure les obligations IG US peuvent se satisfaire de duration plus longue en diversification, en cas de dégradation plus intense de l’économie. Si baisse des taux il y a, elle viendra des Etats-Unis.
N’oublions pas que l’année 2023 a été particulière par rapport aux années précédentes. Il n’y a pas eu de chocs exogènes impactant ni l’offre et la demande ni le commerce mondial. 2024 pourrait être d’une autre facture.