LES FAITS
L’inflation US surprend à la hausse pour le 4ème mois de suite (3,5 % pour le headline et 3,8 % pour le core). Sur un rythme annuel, l’inflation ne parvient plus à franchir un nouveau palier à la baisse alors que, depuis octobre, la composante sous-jacente se stabilise à des niveaux proches de 4 %.
Sources : Fed Saint Louis, Groupe Richelieu
Le détail n’est guère plus rassurant à ce stade. En effet, l’inflation des « services hors loyers » reste sur des niveaux encore incompatibles pour envisager un retour durable des prix vers 2 %. Un ralentissement encore plus prononcé de la demande reste donc nécessaire, un élément qui reste au cœur du scénario pour 2024. Ce rapport sur une inflation plus ferme que prévu met à mal l’espoir de la Fed de pouvoir consolider les perspectives d’un atterrissage en douceur en réduisant certaines des hausses de taux d’intérêt de l’année dernière. Alors que la croissance des salaires continue de ralentir, le processus d’inflation fait l’objet d’un grand débat. L’essentiel de la hausse de l’inflation sous-jacente provient de l’assurance logement et automobile. Cette dernière pourrait refléter une vague découlant de la hausse initiale des prix des voitures.
Sources : Bloomberg, X
L’inflation liée au logement continue à baisser en glissement annuel… mais cette baisse est de moins en moins marquée, et se retrouve contrebalancée par la composante « santé », dont la contribution au core CPI augmente d’environ 10 bps. Pour lancer tout type d’« ajustement de milieu de cycle », la Fed devait constater une faiblesse évidente de l’économie ou des chiffres d’inflation plus bas qui étaient la norme au deuxième semestre 2023. Trois mois après le début de 2024, nous n’avons ni l’un ni l’autre ; les coupes sont donc reportées !
Variation sur 12 6 et 3 mois de l’inflation US
Sources : X, WSJ
IMPACT SUR LE SCENARIO
Notre scénario reste inchangé quant au nombre de baisses cette année (1 ou 2, dont la deuxième en décembre). La 1ère baisse des taux directeurs ne devrait intervenir qu’en juillet, ce qui implique une réduction de 50 pb cette année. Pour la Fed, il sera difficile face à ces incertitudes de conserver le même calendrier d’assouplissement monétaire, d’autant la majorité des membres en mars en faveur de 3 baisses était très tenue (10 vs 9 favorables à 2 baisses ou moins en 2024). Nous prévoyons toujours une accélération de l’assouplissement monétaire en 2025 (nous maintenons un taux d’équilibre à 3,5%-3,5 % qui serait atteint fin 2025).
Jerome Powell doit modérer la richesse des ménages via l’immobilier, un choix rendu difficile par le contexte électoral.
Indice de prix et variation annuelle de l’immobilier US
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
L’impact sur la politique américaine et sur l’économie mondiale n’est pas négligeable cette fois-ci.
Une nouvelle hausse de l’inflation aux États-Unis met en péril le message de réélection de Joe Biden, compromettant sa capacité à défendre son bilan économique face à Donald Trump. Bien que l’économie américaine ait créé plus de 15 millions d’emplois sous la présidence de Biden, l’augmentation de l’inflation durant son mandat a jeté une ombre sur sa gestion de l’économie, devenant une faiblesse politique majeure avant les élections de novembre. L’indice des prix à la consommation ayant augmenté de 25 % depuis l’investiture de Biden en janvier 2021, tout ralentissement dans la lutte contre l’inflation pourrait nuire à ses chances de réélection.
Indice des prix à la consommation US
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu
Au niveau de l‘économie mondiale, le maintien des taux Fed à ces niveaux plus longtemps que prévu, met en porte-à-faux les autres banques centrales dans leur politique monétaire et les économies qui peinent (Chine), qui débute leur recovery (Europe) ou qui essaient de faire remonter leurs devises en haussant timidement les taux (Japon). La santé économique des États-Unis est une réelle particularité dont finalement commence à pâtir le reste du monde.
Contrairement à ces derniers mois, durant lesquels la hausse des taux réels n’avait pas empêché la progression des actifs risqués, sur fond d’amélioration en parallèle des perspectives de croissance outre-Atlantique, la séance d’hier a été le théâtre d’une sensibilité bien plus forte, mais uniquement aux États-Unis alors que la question du contrôle de l’inflation se pose de nouveau. Pour lancer tout type d’« ajustement de milieu de cycle », la Fed devait constater une faiblesse évidente de l’économie ou des chiffres d’inflation plus bas qui étaient la norme au deuxième semestre 2023. Trois mois après le début de 2024, nous n’avons ni l’un ni l’autre ; les coupes sont reportées.
IMPACT SUR LES MARCHES
À court terme, cela devrait avoir un impact significatif sur les actifs risqués. Les responsables de la Fed ont tenté de faire preuve de sang-froid face à une inflation plus élevée à la fin de l’année, étant donné les problèmes de saisonnalité bien documentés, ce qui explique en partie pourquoi les chiffres des prix de mars revêtent une plus grande importance.
Le tracker de salaires de Indeed continue à décélérer et atteint son plus bas niveau depuis septembre 2020, et l’inflation devrait à un moment se modérer dans les prochains mois. C’est la principale raison pour laquelle nous ne passons pas négatifs sur les actions. Cependant, nous sommes plus prudents et nous pensons qu’il faut investir sur les bornes basses des allocations de neutralité.
US indeed wage tracker versus Inflation des services
Sources : Indeed, X
Nos objectifs sur les indices ne sont pas modifiés :
Source : Groupe Richelieu
À court terme, le dollar pourrait se renforcer (borne basse 1.05). La BCE gardera un œil attentif sur la Réserve Fédérale, alors que les spéculations s’accumulent qu’elle pourrait réduire les taux moins cette année que prévu auparavant. Certains avertiront des dangers pour l’euro et l’inflation importée de devancer la Fed dans le cycle d’assouplissement, bien que la vue générale au sein de la BCE soit qu’une « divergence significative » entre les deux chemins de taux des banques centrales serait préoccupante. En zone euro, l’histoire est bien différente. La croissance économique se redresse à peine et la BCE devra être bien plus accommodante. La véritable histoire reste pour l’instant un processus désinflationniste qui n’est pas remis en cause, grâce, il est vrai, à une croissance très « mesurée ».
Contrairement à la Fed, la BCE n’aurait aucune raison de ne pas couper en juin. En ce qui concerne les taux d’intérêt, pour les mêmes raisons, nous pensons que le stress obligataire amené par la publication des chiffres d’inflation US amène des opportunités plus franches sur les taux obligataires souverains et Investment Grade. Dans notre scénario, 4.5 % sur le 10 ans américains était un point haut. Aux États-Unis, notre cible en fin d’année sur le 10 ans US est dorénavant de 4,10 % (au lieu de 3,80 %), prenant en compte le ralentissement de l’économie en fin d’année. La réduction du resserrement de la politique monétaire de la Fed devrait permettre d’éviter une pression trop importante sur les taux souverains. Les marchés obligataires corporate Investment Grade et High Yield présentent de l’intérêt malgré des spreads compressés pour ces derniers, les rendements étant attractifs en amont de la baisse des taux principalement sur l’Europe (allongement de la duration). Sur l’Investment Grade US, les rendements sont en hausse depuis début 2024. Le scénario d’une Fed qui déçoit le marché quant à sa politique monétaire devrait permettre à la modération du QT à partir de mai de profiter uniquement aux titres souverains. Le maintien de taux plus hauts que prévu devrait fragiliser les segments les plus fragiles. Nous restons prudents sur le HY US.
Taux à 10 ans souverains
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu