On ne peut pas comprendre Trump ou Vance sans avoir lu ou regardé Hillbilly Elegy
Comme Trump ou Musk, JD Vance offre un troisième visage de l’Amérique en transition. Il s’est fait connaître par le récit de son ascension sociale improbable, d’enfant pauvre issu de l’Amérique en déclin (la Rust Belt), engagé dans les Marines pendant plusieurs années, puis devenu avocat diplômé de l’école de droit de Yale. Ce bestseller, que Hillbilly Elegy écrit au départ comme son mémoire de fin d’études, a été publié en 2016 alors qu’il avait 32 ans.
On ne peut bien comprendre la politique américaine contemporaine si l’on n’a pas lu – ou vu – Hillbilly Elegy. Ce livre, puis ce film, sont plus que des récits personnels : ce sont des clefs de lecture fondamentales pour saisir les ressorts du trumpisme, la montée en puissance de J.D. Vance, et la revanche culturelle et politique de l’Amérique périphérique.
Publié en 2016, en pleine campagne présidentielle, Hillbilly Elegy a été un best-seller inattendu. J.D. Vance y raconte son enfance dans une famille ouvrière des Appalaches, marquée par la précarité, les dépendances, la violence domestique, mais aussi par une culture d’honneur, de loyauté, de défiance envers les institutions. Une culture « hillbilly », mot que l’on pourrait traduire par « plouc », mais dont Vance montre toute la dignité blessée. Le livre de J.D. Vance peut être lu comme une clé de compréhension de l’Amérique qui a élu Donald Trump. Au fil de quelques 200 pages, J.D. Vance raconte une Amérique rurale qui se sent oubliée depuis des décennies. L’ouvrage montre aussi, en filigrane, le revirement d’un électorat historiquement démocrate devenu pro-Trump.
Ce livre a rapidement circulé dans les cercles de Washington. Il offrait une explication sociologique à ce que les élites ne comprenaient pas : pourquoi des millions d’Américains blancs, pauvres ou de classe moyenne, se reconnaissaient dans Donald Trump, milliardaire new-yorkais sans la moindre expérience politique. Après la publication, J.D. Vance fait de son livre un argument de campagne et se lance en politique, avec un succès fulgurant : élu sénateur de l’Ohio en 2022, puis vice-président. La réponse tient en un mot : ressentiment. Un ressentiment social, bien sûr, face au déclassement lié à la désindustrialisation. Mais aussi un ressentiment culturel : celui d’un peuple moqué, marginalisé, déconnecté du récit méritocratique qu’on lui servait depuis des décennies. En cela, Hillbilly Elegy ne parle pas seulement d’une région, l’Ohio ou le Kentucky. Il parle de toute une Amérique qui a perdu confiance dans le système, et qui ne croit plus aux promesses d’ascension sociale. En 2020, Ron Howard adapte le livre au cinéma. Le film met en lumière la figure centrale de la grand-mère, pilier moral de l’auteur.
Le récit de Hillbilly Elegy ne se limite pas à un témoignage personnel ; il trace aussi les contours d’un programme politique. Dans les ruines sociales décrites par Vance, chômage structurel, désespoir générationnel, addiction massive aux opioïdes , se lit en filigrane une critique violente de la désindustrialisation. Pour l’auteur, le démantèlement du tissu industriel américain a laissé des communautés entières sans repères ni ressources, livrées à elles-mêmes et aux ravages de la drogue. La crise des opioïdes, omniprésente dans son récit, n’est pas seulement une tragédie sanitaire : elle est le symptôme d’un effondrement économique et moral. C’est pourquoi, devenu sénateur puis vice-président, Vance fait de la réindustrialisation un enjeu central, associant souveraineté économique et renaissance sociale. À travers lui, ce n’est pas seulement une trajectoire individuelle qui s’accomplit, c’est un programme politique qui se structure. Il mêle conservatisme culturel (famille, religion, rejet des élites intellectuelles), nationalisme économique (lutte contre l’immigration, relocalisations, guerre contre la Chine, soutien aux industries stratégiques), et hostilité croissante aux standards de gouvernance portés par la finance internationale
À ses yeux, relocaliser des usines, ce n’est pas seulement créer des emplois, c’est recréer du lien, redonner une dignité collective, et refermer une blessure nationale des« hillbilly » . Quant à la lutte contre les drogues, elle devient un combat que Vance articule autour de mesures coercitives (Mexique, Canada, Chine) mais aussi de politiques de reconstruction des territoires oubliés. En somme, une remise en cause complète du consensus libéral-globaliste des trente dernières années. Ce serait une erreur de ne pas lire ou voir le film. Non pas pour sa qualité littéraire (Véritable best-seller à sa sortie en 2016) ou cinématographique (le film a été nominé plusieurs fois) mais pour comprendre ce changement de politique américain. Derrière le retour de Trump, il y a une vision cohérente, portée aujourd’hui par des figures comme Vance, qui aspirent à structurer le trumpisme au-delà du simple culte de la personnalité mais qui irrigue désormais le débat économique et stratégique américain.
