Le Lithium
Par Sébastien Mazille, Assistant Gérant GSM
La transition vers des modes de transports plus écologiques est au cœur des préoccupations des gouvernements et des grandes agglomérations pour réduire l’empreinte carbone. La voiture électrique (EV) fait partie des solutions déjà largement adoptées par la plupart des pays développés. L’Europe a par exemple fixé le passage au tout électrique pour les voitures neuves en 2035. Bien que cet objectif se heurte à des oppositions de la part de certains pays comme l’Allemagne, l’Italie ou encore la Pologne, il illustre la volonté de l’Europe de transformer son parc automobile.
Les premiers constructeurs de voitures électriques comme Tesla tirent évidement profit de cette transition, mais bien d’autres entreprises dans la chaine de production de l’EV en bénéficient également. La batterie représente notamment une part importante des coûts totaux de production d’une voiture électrique. En amont de la chaine de production, les matériaux bruts tels que le cobalt, le graphite ou encore le lithium ont vu leurs demandes fortement augmenter ces dernières années. Le lithium attire tout particulièrement l’attention depuis quelques années.
Qu’est-ce que le lithium ?
Le lithium est un métal mou très convoité par de nombreuses industries notamment pour les batteries électriques. Il est le 33e élément le plus abondant sur terre, cependant les difficultés d’extraction justifient parfaitement son surnom « d’or blanc ». Le lithium n’existe pas à l’état naturel, il est extrait principalement dans certains types de roches, d’argiles ainsi que des saumures.
L’extraction des mines de roche se fait principalement en Australie (premier producteur avec 52% des productions mondiales) et en Chine. Pour extraire le lithium des roches, il faut en premier lieu broyer la roche, y ajouter de l’eau pour former une pate qui permettra de séparer le lithium de la roche. La poudre de Lithium sera ensuite chauffée pour pouvoir extraire le minéral « pur ». Ce processus qui prend entre un et deux mois du broyage de la roche à la récupération de la matière première finale est coûteux du fait de sa forte consommation en eau, en produit chimique et en énergie.
L’extraction des saumures se fait principalement autour du « triangle du lithium » dans les déserts de sel d’Argentine, de Bolivie et du Chili. Cette méthode d’extraction est moins coûteuse mais prend entre 12 et 24 mois et nécessite d’importantes quantités d’eau. Selon un rapport du Service géologique des Etats-Unis (USGS), le sous-sol du triangle d’or ne recèle pas moins de 56% des 89 millions de tonnes de lithium identifiées au monde.
Comment réduire son impact environnemental ?
Le lithium est un minerai essentiel pour la transition énergétique, mais son processus d’extraction soulève des questions sociales et environnementales. Par exemple, la région du Salar d’Atacama au Chili est très sèche. SQM (l’une des deux entreprises autorisées à exploiter le désert) utilise en 2022 près de 400.000 litres d’eau par heure pour les besoins de son usine dans le pays. La forte intensité de ressources nécessaires à l’extraction du lithium entraîne donc des risques de stress hydrique, d’utilisation des sols et de pollution.
Le recyclage des batteries fait partie des enjeux majeurs pour réduire l’impact environnemental du lithium. Son processus commence par le démontage de la batterie et la séparation des différents composants, tels que le lithium, le cobalt et le nickel. Le lithium peut ensuite être extrait à l’aide de techniques chimiques ou pyrométallurgiques. Les techniques chimiques impliquent l’utilisation de solvants pour dissoudre le lithium des électrodes, tandis que les techniques pyrométallurgiques impliquent la fusion de la batterie à des températures élevées pour récupérer les métaux.
Dans une étude, McKinsey prévoit que l’ensemble de la chaîne des batteries lithium-ion (Li-ion), de l’extraction au recyclage, pourrait croître de plus de 30 % par an d’ici 2030. Cependant, la faible quantité de lithium récupérée sur des batteries usées additionnée au coût élevé du recyclage seront les principaux défis des prochaines années pour pérenniser ce secteur. Un objectif de recyclage de 80 % d’ici 2030, tel que spécifié récemment dans la directive européenne sur les batteries, pourrait devenir une aspiration pour les autres régions du monde. De plus, la quantité de batterie à recycler va prendre de l’ampleur lorsque les premières générations de voitures électriques seront à remplacer. McKinsey estime la quantité de batteries disponible au recyclage à 7.3 millions de tonnes en 2040 contre 200 000 tonnes en 2020.
Enfin, certaines entreprises investissent massivement pour développer de nouvelles techniques d’extraction connues sous le nom « d’extraction directe, DLE ». Comme son nom l’indique, cette technologie permet d’extraire directement le lithium de la saumure à l’aide de membranes sans qu’il soit nécessaire de l’évaporer. Cette technique a pour objectif d’accélérer la production et surtout de réduire considérablement l’empreinte environnementale de l’extraction du lithium.
Qui sont les principaux acteurs ?
Le marché mondial du lithium est consolidé ; la production étant concentrée entre les mains de quelques fabricants clés. Albemarle, SQM, Livent Corp, Ganfeng Lithium Co, Allkem Limited et Tianqi Lithium sont parmi les principaux producteurs mondiaux.
Source : Richelieu Gestion
La demande mondiale
Certains pays ont commencé à extraire du lithium après la seconde guerre mondiale. Entre 1955 et 1980 la production annuelle moyenne était de 5 000 tonnes par an. En 2021, la production globale était de 106 000 tonnes avec une croissance moyenne de 37% par an depuis 2015. Avec l’augmentation fulgurante de la production des voitures électriques, la production va continuer de s’accélérer dans les années à venir. L’agence de recherche S&P Global estime la demande mondiale à 2 millions de tonnes d’ici 2030.
En milliers de tonnes
Source : BP Statistical Review of World Energy 2022
La progression de la demande de lithium est donc fortement corrélée aux ventes de véhicules électriques, soutenues par les nouvelles réglementations en faveur de la durabilité. Parmi ces dernières, on peut notamment citer le programme européen « Fit for 55 », la loi américaine sur la réduction de l’inflation, l’interdiction en 2035 des véhicules à moteur à combustion interne (ICE) dans l’UE, le programme indien « Faster Adoption and Manufacture of Hybrid and Electric Vehicles Scheme »
Le leader américain du lithium Albemarle a encore récemment revu à la hausse ses estimations de ventes de véhicules électriques en Chine qui est de très loin, le plus gros producteur d’EV au monde.
Une demande forte, mais à quel prix ?
Malgré une accélération de la production mondiale, l’offre ne suivra pas l’évolution de la demande. En effet, le prix du lithium a fortement augmenté ces dernières années. L’indice chinois du Lithium Carbonate « pur » est passé d’un prix moyen aux alentours de $20 000 la tonne en 2018 à presque $80 000 fin 2022.
En milliers de tonnes
Sources : Bloomberg, China Lithium Carbonate 99% DEL
Cette tension sur les prix du lithium préoccupe les fabricants de batteries et les constructeurs automobiles à l’image de Tesla qui envisagerait l’acquisition d’un géant du lithium brésilien, Sigma Lithium.
CATL, un des leaders mondiaux de la batterie (37% des ventes mondiales), en profite pour grappiller des parts de marchés en vendant des batteries nettement moins chères que ses concurrents ; quitte à réduire ses marges. Ces nouveaux contrats ont d’ailleurs fait baisser le prix du lithium chinois en 2023, bien que « ces prix cassés » soient proposés uniquement à certains de ses « meilleurs clients » chinois en échange d’engagement d’approvisionnement à hauteur de 80%.
Les réserves mondiales de lithium sont théoriquement suffisantes pour répondre à la hausse attendue de la demande. Dans la pratique, il faudrait que toutes ces réserves puissent être mises en production et que la qualité de cette dernière soit en ligne avec les standards de l’industrie des batteries. Malgré une divergence des analystes sur les prix ainsi que sur l’impact environnemental du lithium, il n’y a aucun doute sur l’incapacité à répondre à la forte demande des années à venir avec les capacités de productions actuelles. Le marché de l’or blanc devrait donc connaitre une croissance très dynamique à moyen et long terme. Face à ce constat, d’importantes dépenses de R&D seront consacrées à l’optimisation de l’extraction de la matière première (l’extraction « DLE » en est un bon exemple), mais également à la recherche de solutions alternatives pour diversifier les modes de transport de demain (hydrogène, biocarburants, gaz naturel…).